1945-2015 : 70 ans que la Sécurité́ sociale existe.
Les ordonnances de 1945 sont le fruit d’une histoire, Stéphane vient de nous le rappeler de manière très instructive. Elles sont le fruit d’un contexte particulier au plan social, politique et économique (l’après- guerre), elles sont le fruit d’une nécessité.
Ces 70 ans n’ont pas été un fleuve tranquille pour la Sécurité sociale. En affichant dès le départ les objectifs d’universalité quant à la population couverte, en intégrant le refus de certaines catégories (agriculteurs ou commerçants par exemple) ou les craintes de la mutualité, la construction de la Sécurité sociale a dès le départ été marquée par une architecture complexe.
Pour autant, en 1945, un contrôle ouvrier a été instauré dans la gestion du régime général. Les administrateurs représentant les salariés étaient, via leur syndicat, majoritaires dans les Conseils d’Administration. Ils avaient un réel pouvoir de gestion, les employeurs étant minoritaires.
Au fil du temps, cette logique fut contestée par des politiques et par une partie du patronat.
Dès sa construction elle a fait l’objet de nombreuses attaques de ce même patronat. Et celui d’aujourd’hui par la voix de son Président Gattaz, n’a rien à envier à ses prédécesseurs.
Interviendront ensuite diverses évolutions qui contribueront à renforcer le poids de l’État au détriment du paritarisme, à accroitre le pouvoir des régimes dits complémentaires, à modifier la répartition du financement.
Ajoutons enfin que dans une économie dite libérale et compte tenu des masses budgétaires en jeu, l’État et les gouvernements ont toujours voulu avoir la maitrise financière et de gestion. Ce à quoi ils sont d’ailleurs en grande partie parvenus. De fait, la démarche collective, obligatoire est contradictoire avec l’individualisme et le libéralisme économique.
Et pourtant, répondant aux besoins de la population, facteur de développement social, sanitaire et économique, structure répondant à l’expression des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité, la Sécurité Sociale est tout à la fois. Et elle constitue de fait l’une des plus belles réalisations humaines.
Elle se retrouve pourtant régulièrement remise en question, critiquée, caricaturée, de même que ses assurés.
Il est donc indispensable de casser les clichés, les contre-vérités, les mythes, qui entourent la Sécurité sociale. Ils sont véhiculés, parfois innocemment, mais servent toujours une doctrine libérale mortifère et mensongère.
Le tout-marché ne permettra jamais le bonheur de tous, la Sécurité sociale est indispensable pour donner humanité au développement économique, pour que puisse demeurer l’« exception française ».
Pour tordre le cou à ces caricatures ou critiques, qui n’ont pour but que de remettre en cause la sécurité sociale, je vous propose de répondre à des questions ou clichés souvent entendues :
Tout d’abord, qui dirige la Sécurité Sociale ?
En théorie, ce devrait être les représentants des assurés sociaux. Il devrait être du ressort des caisses, donc de leur conseil d’administration, de définir et de mettre en œuvre le système de sécurité sociale
En complément, c’est celui de l’État républicain que de définir et mettre en oeuvre des lois sociales, visant à un appui conjoncturel ou structurel à la Sécurité sociale.
Enfin, il devrait appartenir à la fonction publique hospitalière de définir et de mettre en oeuvre, en concertation avec les professionnels de santé et la Sécurité sociale, le service public hospitalier et médico-social.
Cependant, dans les faits, il n’existe plus une telle distribution des rôles et du pouvoir. Et l’État se retrouve à toutes les commandes désormais. On peut comprendre la volonté d’un regard sur les comptes de la Sécurité sociale. Il ne s’agit pas des rapports remis ou des contrôles réalisés. Mais de ces lois de financement de la Sécurité sociale, écrites, avec nombre de dispositions financières et d’organisation des services de la Sécurité sociale, par le ministère de la santé et celui du budget, imposant à la Sécurité sociale, chaque année, des orientations sur lesquelles elle n’a aucun mot à dire. De même, le transfert de pouvoir des conseils des caisses nationales à leur directeur général, nommé en Conseil des ministres, signifie une perte de pouvoir considérable de la Sécurité sociale au profit de l’État.
Certains arguments ou phénomènes qui justifient cette étatisation sont à la limite de l’imposture 1/ les difficultés financières de la Sécurité sociale : nous verrons après en quoi cet argument est très relatif voire fallacieux ;2/ la fiscalisation des ressources de la Sécurité sociale : cela signifie que les ressources de la Sécurité sociale reposent de moins en moins sur les cotisations sociales, mais sur des ressources fiscales. Justifiée par la recherche de nouvelles sources de financement pour faire face au déficit, là aussi, la réalité peut induire en erreur, comme allons le voir à la question suivante qui est :
Pourquoi la Sécurité sociale est-elle toujours en déficit ?
Nous arrivons sur le sujet le plus récurrent concernant la Sécurité sociale dans les grands médias : d’une Sécurité sociale qui coûte trop cher à un déficit abyssal, le thème est répétitif, obsédant, et finalement participe à créer l’une des plus belles illusions qui soit.
Alors, plutôt que de répondre à la question, volontairement provocatrice ci-dessus, nous allons répondre à la question :
Pourquoi la Sécurité sociale est-elle vraiment en déficit ?
La présentation qui est faite habituellement, et qui est correcte en première analyse, concerne la nature des recettes et des dépenses de la Sécurité sociale, très différentes : les unes dépendent essentiellement des cotisations assises sur le travail, donc très conditionnées à la situation sur le marché du travail (taux d’emploi, d’activité et de chômage, montant et nature de la rémunération des salariés).
Les autres dépendent des besoins de la population quant à la survenue d’un risque social (maladie, retraite), mais également de caractéristiques plus structurelles (vieillissement de la population, innovation thérapeutique, organisation des soins). L’analyse, en général, pousse alors vers la conclusion, sans explication, que cela conduit à des déficits récurrents, comme si la coïncidence des recettes et des dépenses était nécessairement mal agencée et le déficit quasi-systématique.
Il est alors souvent scandé un chiffre à l’apparence exorbitante concernant les comptes de la Sécurité sociale pour provoquer l’émoi du lecteur et appuyer la fatalité de cet état de fait.
Enfin, la place est donnée aux meilleures recherches de causes possibles, selon la ligne éditoriale à suivre et le public à toucher :
- La Sécurité sociale connait de graves difficultés de gestion ;
- Il existe beaucoup de profiteurs du système qui fraudent à la Sécurité sociale ;
- Notre système est trop généreux et dépense beaucoup pour payer la paresse des individus
Pour bien malhonnêtes que soient ces arguments, leur réfutation n’amène pas non plus des éléments de réponse.
La vérité relève de plusieurs éléments, plus ou moins clairs et aisés à expliciter.
Du point de vue des recettes, outre les effets conjoncturels, on peut relever principalement leur insuffisance en deux arguments, liés :
Le tout premier concerne l’évolution des modes de rémunération des salariés avec la substitution de la rémunération salariale par des formes de rémunération du capital, comme l’intéressement, qui ne sont pas (ou peu) soumises à cotisation ;
Le second concerne les décisions d’allègement de cotisations patronales : en particulier les allègements généraux de cotisation sur les bas salaires. Mis en place en 1993, ils ont gagné en importance et représentent à eux seuls environ 20 milliards d’euros, soit le double du déficit de la Sécurité sociale. Même si ils sont supposés être intégralement compensés par des dotations du budget de l’État, dans la réalité, la non-compensation représente toujours plusieurs milliards d’euros.
D’autres formes d’allègements existent qui ne sont pas compensées et représentent environ 6,5 milliards d’euros. Sans niches sociales, le déficit de la Sécurité sociale n’existerait pas !
L’autre versant, celui des dépenses est plus compliqué à analyser. Cependant, on peut dresser une liste non exhaustive de ce qui représente véritablement des dépenses trop élevées :
1/ Les dépenses de médicament et l’innovation thérapeutique représentent la première cause d’augmentation des dépenses. La France est particulièrement douée pour violer une loi évidente en économie : elle est, au niveau européen, le pays le plus consommateur de médicaments par habitant et en même temps celle qui les paie les plus cher ! Je ne m’étendrais pas sur l’obscurantisme en ce qui concerne la décision de prise en charge ou non d’un médicament, ou son autorisation de mise sur le marché.
2/ Le transfert de chargesde régimes déficitaires vers le régime général : ainsi le régime des travailleurs salariés est victime d’accusation de mauvaise gestion ou de dépenses excessives, alors qu’au contraire il supporte les charges de régimes non-salariés. Ce type de transfert relève d’une solidarité nationale, non ouvrière. Il peut donc sembler aberrant que les salariés du privé financent les retraites des exploitants agricoles.
Cependant cette solidarité peut se justifier, du moment qu’elle est prise en charge par la collectivité, c’est-à-dire par l’État, qui pourtant prend en charge ces déficits pour certains régimes.
3/ La financiarisation de la Sécurité sociale qui n’est pas sans poser de problèmes. Car pourtant d’une sécurité financière extrême, la Sécurité sociale s’endette à des taux très élevés, ce qui est une autre aberration pour les lois économiques. La CADES, organisme qui a repris une grande partie de la dette sociale, elle aussi gérée dans une certaine opacité, a récupéré, depuis sa création, environ 200 milliards d’euros de dette et aura versé environ pour 40 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers. Les déficits de la Sécurité sociale font des heureux…
Dernière question, la Sécurité sociale est-elle une ennemie de l’emploi ?
C’est une pensée récurrente que de considérer que le poids des dépenses sociales se reporte sur le coût du travail et contribue au niveau élevé du chômage en France.
On peut même lire sur le site « anniversaire » à l’occasion des 70 ans de la Sécurité sociale que, je cite : « cette argumentation a certainement l’apparence de la logique et semble s’accorder avec les faits. Elle lance un défi à notre modèle social ».
C’est pourtant séculaire dans l’idéal capitaliste de ne rémunérer le travailleur que pour qu’il puisse reproduire sa force de travail.
C’est tout le débat autour de la juste rémunération du travail, du salaire minimum, du niveau de vie et de décence que les membres d’une société sont en droit d’attendre.
Cette argumentation a donc au contraire l’apparence de bien peu de logique et ne lance aucun défi à notre modèle social.
On ne peut nier que pour des secteurs d’activités soumis à la compétition internationale, le « coût du travail » puisse être une composante déterminante dans le développement de l’entreprise, dans une logique de marché.
Mais si réduire les cotisations « patronales », les salaires, est, à court terme, un moyen effectivement d’améliorer la rentabilité et la compétitivité-prix de l’entreprise, généraliser ce raisonnement à l’ensemble des secteurs de l’économie est en revanche totalement contestable. Et si l’on pousse la logique, cela voudrait-il dire, que nous devrions calquer nos rémunérations sur le niveau des chinois ?
Un tel genre de raisonnement est une remise en question du développement des sociétés. La Sécurité sociale, en tant que vecteur de l’émancipation humaine est en effet un défi contre les conservatismes.
En revanche, la suite de l’exposé sur le site souligne à juste titre des arguments libéraux concernant l’utilitéd’un système de sécurité sociale performant. L’état de santé étant un facteur déterminant de la productivité du salarié, et une politique familiale et de retraite pouvant améliorer le taux d’activité.
Plus généralement, un système de sécurité sociale participe au bien-être général de sa population, à l’amélioration des conditions de vie et de travail, et couplé à une véritable politique de moyen et long terme devient le facteur le plus important pour améliorer la compétitivité hors-prix de l’économie nationale, dont certes les effets sur la rentabilité ne sont pas aussi observables à court terme qu’une diminution des salaires.
Mais notre Sécurité sociale ne joue pas seulement sur ces paramètres : elle est aussi, du point de vue strictement économique, un secteur d’activité très dynamique.
Elle représente un des plus gros employeurs de France et participe au développement de nombreux secteurs d’activité, dont certains sont à forte valeur ajoutée et à la pointe du développement scientifique tels par exemple la recherche médicale, l’industrie pharmaceutique, l’ingénierie médicale qui vivent finalement parce que la Sécurité sociale existe et leur offre un marché immense.
En outre, la redistribution qu’elle met en oeuvre est un véritable moteur pour la croissance, en particulier en période de dépression économique comme nous connaissons.
C’est un point crucial que nos gouvernants et autres économistes éclairés doivent accepter : les budgets sociaux sont un moteur de la croissance économique.
Et l’État, en gelant les prestations et les remboursements, bloque l’un des secteurs de l’économie créateur de richesses, donc d’emplois ! Ces dépenses de redistributions touchant les faibles revenus, sont utilisées pour la consommation et non pour l’épargne et restent sur le territoire. Il y a alors des effets récessifs immédiats, à court terme, à vouloir remettre en cause la Sécurité sociale.
De plus, mener une politique de l’emploi « financée » par la Sécurité sociale par l’allègements de cotisations est contraire à l’idée même de protection sociale.
Un système de sécurité sociale est d’autant plus efficace qu’une politique de sécurité sociale cohérente est menée conjointement, et non pas opposée à lui.
La politique de l’emploi est une des premières politiques de sécurité sociale. Un cadeau financier colossal sans condition aux entreprises, pour contestable qu’il puisse être sur son efficacité, l’est d’autant plus s’il est payé par la santé de nos concitoyens.
Une politique d’austérité en temps de crise ne peut conduire à la relance de l’activité et de l’emploi.
Mes camarades, à l’occasion de ce 70ème anniversaire, il était important de rappeler certains faits historiques et de rétablir certaines vérités.
Comme il est important, pour conclure, de rappeler nos combats pour défendre la Sécurité Sociale.
Comme celui de 1995, à l’occasion duquel, Marc BLONDEL avait fort justement dénoncé le holdup que représentait l’étatisation de la Sécurité Sociale au travers de l’instauration de la loi de financement de la Sécurité Sociale du plan Juppé et ceci avec la complicité de la CFDT.
Rappeler également nos combats pour dénoncer les contres réformes des retraites de 1993, 2003, 2008, 2010 et 2013, imposées au nom d’une logique suicidaire de réduction des dépenses sociales toujours avec la complicité de la CFDT.
Cette même logique que l’on retrouve au moment même où l’on fête cet anniversaire au travers du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2016, qui constitue une nouvelle attaque contre la Sécurité Sociale.
Quelle duplicité de la part du gouvernement quand le Président de la République à cette occasion rend hommage au paritarisme, ou quand la ministre des affaires sociales déclare en introduction du lancement des 70 ans de la Sécurité sociale que, je cite « la Sécurité sociale ce n’est pas l’Etat et ce n’est pas non plus le marché ».
Car au travers de ce projet de loi pour 2016, c’est désormais son organisation, ses structures et sa gouvernance qui sont en ligne de mire.
Avec, en terme d’emploi 1000 équivalents temps plein qui pourraient être sacrifiés sur l’autel du prétendu « toujours plus efficace ».
Avec des conseils d’administration qui n’auront qu’un avis à donner sur leur propre disparition. Les directeurs nationaux étant chargés d’organiser les changements, le paritarisme est relégué aux oubliettes, et l’Etat devient de plus en plus le dirigeant de la Sécurité Sociale à travers les directeurs qu’il nomme.
C’est donc un projet d’attaque contre les principes fondateurs de la Sécurité Sociale, bien loin d’une simple loi financière.
C’est un renforcement de l’étatisation et une porte entr’ouverte à la privatisation.
Avec ce projet de loi, nous nous éloignons encore un peu plus de la Sécurité sociale des origines, cette belle construction du XXème siècle que nous fêtons aujourd’hui, qui impliquait la dignité et la solidarité pour le bien de tous.
Quelles seront les conséquences pour les assurés sociaux, le personnel des organismes de Sécurité sociale de ces dispositions ?
En cette période trouble, austère, son rôle est pourtant primordial pour la sauvegarde des liens de solidarité entre nous.
Alors mes camarades, à FO nous avons toujours défendu bec et ongle la Sécurité sociale et ses principes fondamentaux.
Et nous continuerons à le faire en toute indépendance de quelque gouvernement ou parti d’où viennent les attaques, en martelant que la Sécurité sociale n’est pas là pour financer ni la politique économique, ni les cadeaux au patronat.
Qu’on se le dise !